« CALIXTE » et « GUSTETO » cultivaient les terres de l’AIGUEBELLE du vivant de ma grand-mère. Ils n'étaient pas des ouvriers agricoles, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais des villageois que l’on appelait, lorsque les travaux des champs, ou la culture de la vigne l’exigeaient. Des « journaliers », disait-on.
CALIXTE était petit et gros. Il portait une ceinture de flanelle rouge, qu’il roulait et déroulait avec grand soin, tant il était conscient qu’elle participait à son bien être, et assurait le maintien de sa dignité.Il était de surcroit anticlérical, par posture, plutôt que par conviction véritable.
Le curé de la paroisse, revêtu de sa redingote noire et de son bonnet carré, passait parfois dans les parages, au cours de sa promenade quotidienne, en lisant son bréviaire. Lorsqu’il l’apercevait, Calixte s’exclamait à l’adresse de Gusteto : « té ; beijo lou groupatas qué passo » (tiens ; regarde le gros corbeau qui passe). Il s’affairait, alors, sur sa besogne et se penchait en avant pour n’avoir pas à le saluer.
« GUSTETO » était grand et maigre ; il aurait pu figurer sur le tableau de MILLET, dit « l’ANGELUS ». Debout, les 2 mains sur sa pioche, appelée « harpe », il attendait un regard du prélat, pour ôter sa casquette, en signe de déférente salutation ; cela le rassurait, lui donnait bonne conscience, et exorcisait le comportement de son compagnon mécréant.
Tout deux travaillaient à leur rythme, sans excès, mais soucieux d’accomplir et terminer leur ouvrage, avant la tombée du jour.
A l’heure de la pose, la grand-mère leur apportait dans un panier d’osier, tapissé d’une toile de jute, un morceau de fromage, et une bouteille de vin clairet de la récolte précédente.
C’était le moment d’échanger sur la vie locale, avec complaisance ou ironie, selon les jours, jusqu’au moment où retentissait un solide « Gusteto, baïsso-ti ». C’était la voix de la grand’mère qui dictait la fin du repos. (baïsso-ti signifiait « travaille ! ».
Ils étaient tous attachés à la terre dont ils étaient les serviteurs. Ils n’en tiraient ni gloire ni profit. C’était leur condition, et ils l’acceptaient.
Ceux là s’en sont allés, emportant avec eux une ruralité qui ne trouve plus sa place.
La terre, elle, est restée. Même endroit, mêmes contraintes, mêmes exigences, mêmes sacrifices, pour un monde qui va vite, … si vite… trop vite…
Germaine Drighès
Paris le 17/01/2015